L’Union européenne : cause ou réducteur de risques et d’incertitudes ?

Torn European Union flag. (Image: Theophilos Papadopoulos via Flickr)

Photo: Theophilos Papadopoulos via Flickr

 

Brexit, sanctions contre la Russie, avenir de la Grèce et de la zone euro, questionnements plus larges sur l’avenir institutionnel et politique de l’Union européenne (UE) risquent de produire un retournement spectaculaire de perception à l’égard du cadre européen. Porteur à bien des égards de stabilité et de sécurité (juridique, monétaire, économique, géopolitique), celui-ci apparait aujourd’hui aussi comme une source et un faisceau d’incertitudes et de risques. Cette inversion de ressenti européen menace aussi bien les États membres que les citoyens ou les entreprises. Elle met en avant, paradoxalement, la valeur historique de la construction européenne comme démarche de réduction des risques et incertitudes.

La construction européenne : une démarche de réduction des risques et incertitudes ?

Les dynamiques de réconciliation, de reconstruction, puis de développement économique, ont souvent été perçues comme de puissants déterminants des premières étapes de la construction européenne. Plus récemment, la gestion des défis de la mondialisation et des transformations et défis de l’après guerre froide a aussi constitué un puissant moteur de l’intégration européenne. Cette dernière peut aussi être analysée comme un processus fondamentalement voué à réduire les instabilités, incertitudes et risques auxquels sont confrontés les États, leurs acteurs économiques et citoyens.

Sur le plan stratégique et diplomatique, la méthode consistant à associer étroitement des États européens longtemps enclins aux rivalités de puissance mutuelles destructrices, à les rendre trop interdépendants pour s’opposer, était une façon de lever l’hypothèque d’un suicide européen collectif entrevu lors des deux conflits mondiaux du vingtième siècle. Cette démarche de réduction du risque de conflit intra-européen a constitué un puissant moteur autant que l’une des principales réussites du projet européen.

Plus récemment, la création de l’euro répondait en grande partie à une telle volonté de réduction des risques et incertitudes : réduction d’un risque géopolitique en encrant la puissance allemande dans une monnaie unique européenne, réduction des risques financiers et monétaires à travers la création d’une monnaie unique supposée plus résistante aux spéculations, attaques et fluctuations que les monnaies nationales.

L’émergence progressive d’une Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE à partir du début des années 1990, était aussi une démarche de réduction de l’incertitude : rien ne garantissant que les Européens ne réagiraient de la même façon face aux évolutions et bouleversements de l’après guerre froide, le développement de ce processus permettait au moins d’ancrer entre les États membres des habitudes de concertation, de décision en commun et de solidarité sur les questions internationales. Avant-même tout débat sur l’éventuelle émergence d’une forme de puissance ou d’influence européenne commune, un enjeu central de cette PESC a consisté, avec plus ou moins de succès, à réduire progressivement les inconnues, risques de désaccords et divergences possibles entre États membres sur la scène internationale.

Des politiques communautaires historiques de l’UE ont aussi, de façon très concrète, apporté de la stabilité, des garanties et un cadre rassurant à des secteurs économiques potentiellement vulnérables. La Politique agricole commune (PAC), prévue dans le Traité de Rome de 1957 et mise en place à partir de 1962, en a été un exemple : ses logiques initiales de garantie des prix puis des revenus aux agriculteurs, ses principes de préférence communautaire et de compensation des fluctuations et prix du marché, ont un temps permis de protéger certains acteurs du monde agricole des risques du marché. Le cadre européen a là encore servi de réducteur des risques et incertitudes inhérentes à un secteur économique alors en pleine transformation, et soumis à de forts aléas.

Sur le plan juridique enfin, l’existence d’un ordre juridique européen partiellement supranational (incarné par la primauté du droit communautaire et le rôle de la Cour de justice de l’UE) est aussi une forme de garantie pour des citoyens ou acteurs économiques parfois confrontés à des formes d’instabilité ou d’incertitude juridiques au niveau national.

Si la construction européenne et le niveau décisionnel européen sont imparfaits et n’ont pas eu réponse à toutes les incertitudes ou risques rencontrés par les États, citoyens et entreprises européens, ils s’en sont avérés être de bons outils de réduction. Que l’UE puisse apparaitre aujourd’hui comme source d’inquiétude et d’instabilité est donc significatif.

L’Union européenne : nouvelle source d’incertitudes?

Des rencontres et échanges récents avec des acteurs économiques français m’ont notamment alerté sur la diffusion d’une perception de l’UE comme étant aujourd’hui porteuse de risques et d’incertitudes multiformes. Ce sentiment se développe chez des acteurs peinant à comprendre et anticiper des choix que l’UE devra opérer dans les mois et années à venir, choix qu’ils devinent porteurs de conséquences potentiellement importantes sans pour autant pouvoir les prévoir.

C’est le cas par exemple des sanctions contre la Russie, qui ont été renouvelées en décembre dernier pour six mois (jusqu’au 31 juillet 2017), et vont donc faire l’objet de débats accrus au cours des prochains mois, dont il est difficile de prédire l’issue. L’incertitude est ici avant tout diplomatique : la levée ou le maintien des sanctions, elle-même résultat d’un jeu politique et diplomatique intra-européen complexe, aura des conséquences non seulement sur la situation en Ukraine mais aussi en matière de respect et de promotion du droit international, d’attitude de la Russie, de crédibilité de l’UE, de relations transatlantiques, etc. L’incertitude sur la levée ou non de ces sanctions pèse aussi sur les acteurs économiques Européens impactés par ces mesures, comme certaines filières et activités agricoles, bancaires ou du secteur de l’énergie. Si des entreprises se sont adaptées à ces sanctions et ont parfois intégré l’incertitude « sanctions » dans leurs stratégies, toutes n’ont pas été en mesure de le faire, et aucune n’est en mesure de prévoir quand et dans quelles conditions les sanctions seront éventuellement levées. Cette question des sanctions place donc l’UE comme un facteur d’incertitude pour certains acteurs économiques.

C’est le cas aussi du Brexit, dont il demeure difficile de mesurer précisément les conséquences éventuelles, mais qui est intrinsèquement porteur d’incertitudes et de risques. Les choix qui seront faits par les deux parties dans les négociations sur l’avenir des relations commerciales et réglementaires entre l’UE et le Royaume-Uni, la nature et le contenu d’un éventuel accord final entre le gouvernement britannique et l’UE à vingt-sept, demeurent très difficiles à anticiper et prévoir. Bien que la volonté de réduire l’incertitude ait été l’un des principaux objectifs affichés par Theresa May dans son discours sur le Brexit du 17 janvier 2017, ces négociations sont porteuses d’un nombre d’inconnues et de scénarios possibles très élevé.

Sur le plan réglementaire, des acteurs économiques s’inquiètent aussi de ne pas être en mesure de décrypter, de se conforter ou d’anticiper certaines évolutions réglementaires européennes. C’est le cas d’acteurs du secteur financier à l’égard des réglementations sur les marchés financiers MIF (I, II, III …). C’est le cas aussi des agriculteurs face à la relance du débat sur l’avenir de la PAC en 2017 après une année 2016 très difficile pour certaines filières : des choix d’investissement, de modèle d’exploitation, de cultures et d’élevage exigent visibilité et garanties sur l’évolution du cadre politique, réglementaire et budgétaire européen.

Enfin, les risques perçus ou avérés d’une déseuropéanisation multiforme (retrait d’un ou plusieurs membres de la zone euro ou de l’UE, abandon de certaines politiques communes, etc.), font bien entendu peser un risque et une incertitude plus larges et diffus mais désormais plausibles, sur la permanence même du cadre institutionnel, politique et économique européen. Autrefois perçue par définition comme une constante, la permanence de l’appartenance des États membres l’UE et le non-retour en arrière dans la construction européenne sont aujourd’hui incertains.

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 L’UE, déjà fragilisée, le sera encore davantage si elle cesse d’apparaitre comme un cadre porteur de stabilité politique, économique et géopolitique, si elle n’apparait plus comme un outil de réduction des risques et incertitudes dans un monde instable mais comme l’une de leurs sources. Cette fragilisation de l’UE a quelque-chose de paradoxal tant les pressions et incertitudes de la mondialisation, le contexte politique et géopolitique agité, pourraient au contraire prouver la pertinence de la démarche de stabilisation, de réduction des risques et incertitudes qui a en partie structuré la construction européenne.

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