Le jour où je suis devenu enseignant…

cygne

Photo: Bastien Nivet (cygne sur un étang à Vincennes, ou « La solitude du jeune enseignant face à ses premiers cours »)

 

Plus les années passent, plus je vis comme une chance le contact, au quotidien, avec des jeunes grâce à mes activités d’enseignement. Signe de vieillissement ou goût pour l’altérité ? D’année en année, l’écart d’âge se creuse entre les étudiants et moi et, avec lui, c’est aussi le rapport au temps, à la connaissance, à l’expérience qui prennent une autre allure. Parfois déroutante, cette distance que je ressens avec la jeunesse d’aujourd’hui dans la façon de vivre, de regarder et penser la société, la politique, l’économie, l’Europe, le monde, le travail, sont au cœur du bonheur d’enseigner. C’est cette altérité qui fait le plaisir accru d’enseigner car j’y décèle aussi les signes témoignant de l’avenir de nos sociétés.

Depuis quand je prends réellement plaisir à enseigner, je ne saurais le dire. Certainement pas  de mes toutes premières séances. Comme beaucoup de collègues, j’ai réalisé mes premiers cours et séminaires au début de mes années de thèse. Deux ou trois ans seulement de différence d’âge me séparaient de mes étudiant(e)s. Je me sentais peu légitime, et peu préparé à endosser ce rôle d’enseignant. Autant l’avouer, malgré le talent, la gentillesse et le sérieux de mes premières audiences, le plaisir d’enseigner n’est pas venu tout de suite. Le sentiment d’aller au combat un peu désarmé, de rentrer mal habillé sur une scène trop éclairée, a d’abord prévalu. Pourtant, j’enseignais des sujets qui me passionnent, les questions européennes et  les relations internationales, les étudiants étaient très sympathiques, motivés et… indulgents !

Ma difficulté initiale à enseigner et à m’y épanouir venait d’une erreur d’appréciation sur le rôle qui était le mien et sur la mission qui m’était dévolue. Je redoutais d’être mis en échec par mes étudiant(e)s, qu’ils découvrent que je ne possédais pas toute la connaissance dont je pensais devoir être investi pour mériter leur attention et ma mission devant eux. Ne maitrisant pas toutes les données et problématiques sur toutes les politiques et institutions européennes, ne connaissant pas tous les recoins parfois obscurs du droit communautaire, quelle était ma légitimité pour enseigner « L’Europe » ? J’avais en souvenir récent de longues heures de cours magistraux à l’université, au cours desquels des professeurs délivraient une connaissance encyclopédique, parfois sans notes et de façon brillante, parfois en lisant de façon ennuyeuse leur ouvrage ou un polycopié. Je ne me sentais pas à la hauteur car je ne me pensais pas en mesure de délivrer une telle masse d’information et de connaissance sur l’ensemble des sujets que je devais traiter.

Je n’ai plus cette inquiétude et m’épanouis en enseignant, même auprès de publics exigeants, ou parfois un peu trop dynamiques. Ma vision de la pédagogie a mûri. Je ne ressens plus cette obligation de maitrise totale des connaissances, de toute façon impossible à satisfaire. J’essaye certes d’apporter le plus possible à mes étudiant(e)s, je m’efforce de refuser les sollicitations sur des sujets que je ne pense pas maitriser assez tout en veillant à actualiser et renforcer mes connaissances sur les thèmes et enjeux que j’enseigne. J’accepte que les étudiant(e)s contribuent au cours car l’enseignement est un partage au cours duquel chacun apprend, l’enseignant comme l’étudiant(e).

Le jour où je suis devenu enseignant est le jour où pour la première fois, j’ai osé dire : « je ne sais pas ».

 

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