Siège du Parlement européen à Bruxelles (Photo : Bastien Nivet)
Des rencontres et échanges récents avec des acteurs du monde de l’entreprise, m’ont alerté sur les vulnérabilités et fragilités de certains d’entre eux face aux évolutions et décisions de l’Union européenne comme cadre règlementaire, politique, institutionnel ou économique. Sanctions réciproques entre l’UE et la Fédération de Russie et incertitudes concernant le Brexit ont entre autres montré que l’environnement européen comptait, et que les cadres d’aujourd’hui et de demain devaient en comprendre les rouages, évolutions et… incertitudes.
Sanctions, Brexit: les entreprises face à de nouvelles incertitudes européennes
Ces deux épisodes ont en commun d’avoir confronté les entreprises à un imprévu, et élevé le niveau d’incertitude auxquelles elles étaient confrontées.
Nul ne pouvait prédire avec précision le conflit ukrainien et ses conséquences telle la mise en place d’un régime de mesures restrictives réciproques entre l’UE et la Russie. Les modalités et le calendrier exacts de levée de ces sanctions restent aussi incertains. Apparues comme un élément disruptif dans la stratégie de certaines entreprises, les sanctions continuent de les soumettre à un climat d’incertitude réglementaire. Les entreprises sont d’ailleurs peu enclines à s’exprimer, échanger et débattre sur le sujet. Si l’épisode ne pouvait être entièrement prévu et anticipé, la capacité des acteurs économiques à en minimiser et amortir les risques et incertitudes peut être aidée par une compréhension des registres et modes d’existence internationaux de l’UE, ou la connaissance des logiques et politiques de sanctions internationales (l’Iran ayant été un autre cas important ces dernières années). Des connaissances potentiellement considérées comme « hors périmètre » dans les formations en commerce et en management, mais qui auraient pu s’avérer utile à bien des acteurs du monde de l’entreprise dans la période actuelle.
Le Brexit est un deuxième exemple récent d’imprévu et d’incertitude européens. Alors que les personnes suivant régulièrement les débats européens – dont l’auteur de ces lignes ! -, n’ont pas su prendre à sa juste mesure le risque d’un Brexit, il ne peut être reproché à des acteurs économiques dont ce n’est pas le métier d’avoir mal anticipé ce scénario. La difficulté des principaux acteurs britanniques et européens eux-mêmes à clarifier leurs attentes et stratégies dans ce dossier depuis le référendum du 23 juin 2016 n’aide pas non plus les acteurs économiques à en comprendre les évolutions et conséquences. Pour autant, la diversité des matérialisations du Brexit encore possibles malgré les clarifications effectuées en janvier 2017 par le premier Ministre Theresa May entretient un climat d’incertitude élevé sur le monde de l’entreprise. La signification et le périmètre du marché intérieur européen, les différences entre Schengen, marché intérieur, Union douanière et zone de libre-échange, les attentes et attitudes différenciées des États membres à l’égard de l’UE, les bases du droit communautaire (comme savoir ce qu’est une directive ou un règlement) sont des connaissances là encore potentiellement « hors périmètre » d’un étudiant sortant d’école de commerce, mais potentiellement utiles au sein d’une entreprise devant se préparer au mieux aux différentes incertitudes soulevées par un épisode comme le Brexit.
Sans constituer le cœur de métier des professionnels formés en école de commerce et de management, les enjeux européens sont suffisamment structurants dans l’environnement des entreprises pour devoir faire l’objet d’une sensibilisation accrue. Reste à savoir comment opérer cette sensibilisation dans des cursus déjà bien remplis.
Comment aborder les enjeux européens en école de commerce?
De nombreuses écoles de commerce et de management, dont celle à laquelle je suis affiliée depuis 2010 (EMLV, Paris La Défense), ont inséré dans leurs cursus des sensibilisations et enseignements aux enjeux géopolitiques au sens large. Certaines, à l’instar de Grenoble École de Management et de son emblématique festival de géopolitique, en ont même fait l’une de leurs marques de fabrique. Cette prise en compte de l’environnement international dans les schémas pédagogiques et cursus des écoles est une juste adaptation au contexte de mondialisation. La formation aux enjeux européens, quant à elle, reste essentiellement l’apanage des formations universitaires en droit, science politique ou relations internationales, et a moins fait sa place comme discipline ou préoccupation à part entière dans le secteur des écoles de commerce. Les questions européennes se prêtent pourtant bien à des méthodes pédagogiques comme les études de cas ou les mises en perspectives à partir de l’actualité qui conviennent bien aux étudiants en école de commerce. Les entreprises auraient quant à elles beaucoup à gagner à disposer de professionnels davantage aguerris aux problématiques européennes et ainsi mieux à même de tirer profit de l’environnement européen tout en en minimisant les risques et contraintes.
Comment les écoles de commerce, dont ce n’est pas le cœur de métier, peuvent-elles répondre à ce défi pédagogique ? Plusieurs modalités de développement et de renforcement de la compétence européenne des futurs cadres existent ou sont envisageables :
– Développement de filières européennes:
La création de filières européennes spécifiques, dédiées, pour former des spécialistes des affaires européennes au profil école de commerce, est une première possibilité. Son avantage est de pouvoir dégager suffisamment de temps dans les cursus pour fournir un contenu pédagogique approfondi sur les enjeux européens. L’inconvénient est qu’il ne permet pas de développer largement la « culture européenne » au sein des professionnels formés, seule une minorité spécialisée étant concernée.
– Intégration des enjeux européens dans les enseignements existants:
La prise en compte et le développement accru de la dimension européenne dans les différents enseignements existants (droit, économie, géopolitique, mais aussi sciences de gestion) est une deuxième possibilité. L’avantage de cette démarche est qu’elle n’exige pas la création d’enseignements spécifiques et dédiés, dans des schémas pédagogiques déjà denses où il est parfois difficile de faire de la place à des modules d’enseignement qui ne sont pas dans le « cœur de métier ». L’inconvénient de ce modèle est de faire reposer « l’européanisation » des formations sur des enseignants dont ce n’est ni la formation ni le métier, et qui manquent parfois eux-mêmes de sensibilisation aux enjeux européens.
– Délégation aux étudiants de la responsabilité de se former aux enjeux européens:
Faire en sorte que les étudiants et futurs cadres développent par eux-mêmes, sur les enjeux européens comme sur les enjeux géopolitiques ou économiques, une habitude à se tenir informés et à sélectionner les informations et signaux potentiellement utiles à leur secteur et à leur métier est une troisième possibilité. Elle a pour avantage de ne pas exiger la création d’enseignements supplémentaires ou spécifiques dédiés aux enjeux européens, et d’apprendre aux futurs cadres à déceler eux-mêmes les enjeux susceptibles d’impacter leur environnement économique et professionnel. Cette démarche est celle qui existe par défaut en l’absence de préoccupation pédagogique spécifique sur l’environnement européen. Elle exige de la part des étudiants une solide capacité à sélectionner et exploiter leurs sources et informations, et a pour inconvénient d’être peu créatrice de compétences européennes solides.
Quelles que soient leurs affinités politiques et préférences personnelles à l’égard de la construction européenne, les acteurs du monde de l’entreprise peuvent gagner à disposer d’un socle minimum de connaissance de l’environnement européen. En dehors des formations dédiées à l’Université ou à Science Po, les Écoles de commerce et de management ont aussi un rôle à jouer dans ce renforcement de la capacité des acteurs économiques français à opérer au mieux dans l’UE.