La sortie de l’UE : a long and winding road…
Si le résultat du vote du 23 juin doit être respecté, la sortie du Royaume-Uni de l’UE est loin d’être réglée : à la suite d’une probable activation de l’article 50 du traité de Lisbonne (par lequel un État membre peut demander à sortir de l’UE), des négociations extrêmement complexes vont devoir se tenir entre le Royaume-Uni et ses partenaires européens.
Sort du Royaume-Uni vis-à-vis du marché intérieur, départ et remplacement des fonctionnaires britanniques travaillant au service de l’UE, traitement réservé aux dizaines d’accords commerciaux signés par l’UE avec des acteurs tiers peuvent prendre des mois, voire des années à être traités. Le chemin sur le « Brexit » est donc long et parsemé d’embûches.
Il risque d’occuper les 27 autres États membres de l’UE et les institutions européennes à autre chose que l’empilement déjà déstabilisant des crises et défis à relever : réfugiés et migrants, redressement économique et social, lutte contre le terrorisme, etc.
Les Européens se seraient bien passés de devoir se plonger dans les conditions d’un divorce au moment où la maison Europe prend feu. Ils vont, dans ce contexte, avoir la tâche difficile de trouver une attitude de négociation qui ne soit ni punitive à l’encontre des Britanniques, ni incitative pour d’autres « leavers » putatifs.
Dangers et vertus des référendums sur l’Europe
L’organisation de référendums sur les enjeux européens effraie de nombreux partisans de l’UE qui y voient, non sans raison, une menace pour le fonctionnement de l’Union telle qu’elle va et la fluidité des ratifications d’engagements pris au niveau européen par les gouvernements des États membres. Volatilité de l’opinion publique, volonté de sanctionner les gouvernements en place, irrationalité des attitudes et positionnements sur l’UE, ressentiment et rejet croissants à l’égard de l’Europe sont notamment redoutés et reprochés aux citoyens.
La logique binaire (oui/non, in/out) inhérente à tout référendum est intrinsèquement porteuse de raccourcis, de simplifications, d’arguments arbitraires, de caricatures. La campagne qui vient de se dérouler au Royaume-Uni n’aura pas échappé à la règle. Les deux camps ont fait campagne sur la peur (peur de l’immigré et de la dépossession de la souveraineté démocratique face à « Bruxelles » du côté du « out », peur d’un cataclysme économique du côté du « in »), caricaturant les partisans adverses et leurs positions, distordant souvent la réalité pour défendre leur position. Les référendums obligent à une simplification et une radicalisation des positions et discours.
Débat démocratique
La dramatisation des enjeux induite par le référendum a, néanmoins, pour effet positif de provoquer un débat démocratique et citoyen sur les enjeux européens beaucoup trop rare par ailleurs. Le simplisme de certains arguments ne doit pas faire oublier que seuls les référendums produisent de telles poussées de débats contradictoires sur les questions européennes. Même les élections européennes ne parviennent pas à soulever un tel intérêt.
La clarification du « modèle européen » : mission impossible ?
Sursaut fédéraliste ou reprise en main intergouvernementale ? L’empilement des crises européennes depuis 2008 – crise financière, bancaire, monétaire, économique, sociale, identitaire, morale, institutionnelle, etc. – a ceci de particulier que si les diagnostics en sont relativement convergents, les remèdes proposés par les acteurs et observateurs de l’UE sont très divergents.
Pour les partisans de l’UE les plus fédéralistes, c’est en faveur d’un saut vers davantage d’intégration que plaide la crise multiforme que traverse l’Union : difficultés et manque de coordination sur la gestion de la crise migratoire, sur les politiques économiques et fiscales, etc., sont le signe qu’une Union plus poussée et plus politique est plus que jamais nécessaire.
Pour d’autres, les mêmes difficultés, associées aux résistances et réticences des citoyens européens à l’égard de certaines dimensions et pratique de l’UE plaident, au contraire, pour un meilleur contrôle des politiques par les États membres, leurs représentations nationales, leurs citoyens, voire pour une renationalisation de certains pans de la construction européenne : si l’UE ne marche pas, c’est qu’il faut moins d’UE, pas plus…
Mais cette clarification sera difficile : le Royaume-Uni et David Cameron ne sont en effet pas les seuls empêcheurs d’européaniser en rond dans l’UE, et même des États membres comme la France se vantant d’être porteurs d’un projet européen ambitieux ne sont pas en situation de proposer un agenda porteur pour les années à venir. La grande clarification du projet européen que beaucoup appellent à juste titre de leurs vœux semble, aujourd’hui, une mission impossible.
La pire des réponses au référendum du 23 juin de la part de « ceux qui restent » serait de reprendre à leur compte la pensée du héros du Guépard de Lampedusa : Il a bien fallu que tout change pour que tout puisse rester comme avant. L’épisode du « Brexit » est déjà un épisode délétère pour le Royaume-Uni et l’UE. Il le sera encore plus s’il ne servait de tremplin pour relancer le projet européen.
[Article initialement publié dans The conversation le 24 juin 2016]